sábado, 14 de mayo de 2016

Le siècle deleuzien / Olivier Koettlitz







Un siècle, c’est d’abord une unité de mesure du temps, de ce temps qui fait l’histoire des hommes ou que les hommes font de lui. A y regarder d’un peu près, on s’aperçoit que cette périodisation, axée qu’elle est sur une chronologie qui lui confère un gage d’objectivité, repose en dernière instance sur une radicale contingence à laquelle il n’est pas souhaitable de trop penser. Mais un siècle c’est encore et surtout un empan symbolique marqué comme au fer d’un nom, d’un événement ou même d’un concept qui rehausse le décompte des ans en faisant accéder une quantité donnée au statut plus ou moins impressionnant d’une qualité insigne inspirant soit de la curiosité, soit de l’admiration soit encore une fascination vague. À ce titre, un siècle devient vite Le Siècle, et le grandiose le dispute au calcul. Pour qu’il y ait quelque chose comme «un siècle», il faut bien que les cent ans soient registrés à un sens ou, à tout le moins, à une signification d’importance qui métamorphose tout siècle ainsi compris en un moment capital faisant cadre et même parfois tableau (édifiant ou non) pour la mémoire et l’existence des hommes ici et maintenant. Tout siècle est ainsi le siècle de quelqu’un ou de quelque chose. C’est ce pouvoir magique du signifiant, le sceau quasi sacré d’un énoncé qui procure sa consistance, son fondement et son intelligibilité à ce qui autrement se réduirait à une absurde et stupide opération de numérotation. 
Peu ou prou, tout siècle est donc en quelque façon un «siècle d’or», un «grand siècle» qui nous donne au moins l’impression non seulement que le temps, en dépit de quelques caprices résiduels, est bien logé dans ses gonds, et que tout ça — ce que font, pensent et disent les hommes — doit bien, d’une manière ou d’une autre, répondre d’une orientation essentielle déposée dans les ressacs de l'histoire. Ce n’est pourtant pas ainsi qu’il faut entendre «le siècle deleuzien» abordé par Jean-Clet Martin aux éditions Kimé. Ses caractéristiques ou coordonnées tombent à côtés des habituels repères qui entretiennent notre croyance au Siècle. D’une certaine façon, il faut soutenir que si Deleuze estampille un «siècle», s’il répand sa signature comme une traînée de poudre sur une période ou si son œuvre couvre un «moment», c’est d’abord parce que ce qui se joue sous et avec son nom est de tous les siècles. C’est d’«un siècle deleuzien» qu’il s’agit et non du siècle «de Deleuze», ce qui reviendrait à sacrifier encore à la logique du propre ou de la propriété, comme si ce qui se faisait de plus percutant en matière de littérature philosophique devait être indexé à la propriété de tel ou tel patronyme. «Deleuze» reste bien plutôt comparable à une sorte d’incorporel qui viendrait tisser sa toile virtuelle entre les poussières disséminées par la brise, comme on peut s’en apercevoir en portant attention à ce qui se joue dans la lumière crépusculaire d’une fin d’après-midi d’été, en toute fin d’été, dans une atmosphère lucrécienne au possible. Alors il faut dire que «le siècle deleuzien» n’est ni passé ni à venir mais qu’il nous enveloppe et nous saisit par son milieu.
Le travail ou, mieux, l’aventure de la pensée conceptuelle ne peut par nature être cantonnée à «un» siècle, fût-il à tous égards remarquable comme l’était celui d’un Descartes, au Siècle des Infinis. Quand on fait de la philosophie, on est forcément le contemporain des auteurs avec lesquels on chemine: les philosophes du «passé» ne sont pas derrière mais à côté de nous. Et si un philosophe est toujours quelqu'un qui, à la lettre, est «d’un autre siècle», ce n’est pas parce qu’il existerait une philosophia perennisavec ses «grands auteurs» et ses non moins «grandes questions», ou parce qu’en s’adonnant à cet étrange exercice on participerait au hors-temps, mais parce que lire obstinément Spinoza, Lucrèce, Hume ou Bergson, c’est assumer la joie risquée de s’enfoncer dans les «boyaux» d’une temporalité très spécifique qui n’est ni celle de Kronos, ni celle de Kaïros mais qui a plutôt à voir avec une redistribution des axes du temps qui nous embarque dans les parages de l’Aiôn, là où le temps s’enroule sur lui-même, développe ses volutes, dessine des spirales.
Aussi, ce qui relève d’un réquisit propre à l’activité philosophique s’accentue et, pour ainsi dire, s’aggrave avec Deleuze dans le sens où sa pensée s’est déployée en un temps tout de même fort problématique car traversé, et comme lacéré, par des événements inouïs qui ont en effet mis le temps «hors de ses gonds». Que ce soit sur le plan de l'histoire factuelle ou sur celui, certes en apparence plus souterrain mais néanmoins décisif, de la pensée, beaucoup de choses sont arrivées qui empêchent qu’on puisse parler du «siècle deleuzien» comme on parlerait du «siècle cartésien» ou «kantien». Toutes ces choses surnagent à la surface du chaos, participent plus ou moins de la catastrophe, à tous les sens du mot «catastrophe». Dans ces conditions, si un siècle donne la mesure de l’histoire, le «siècle deleuzien», lui, verse dans toutes les démesures pour le meilleur et pour le pire, maintenu sur la fragile ligne de crête qui ajointe la tragédie à la comédie. Dans ces conditions, l’expression «siècle deleuzien» tient sa légitimité de la reconnaissance d’un temps dont les bords s’effilochent, les limites de ce qui fait habituellement un Siècle ou un Empire (son cadre, son encadrement) sont érodées, usées jusqu’à la corde qui menace de se rompre définitivement. Siècle monstrueux, siècles des monstres aussi bien que celui de Deleuze; drôle de siècle plein de paradoxes, de contradictions, d’abysses en tout genre, de fureur, de larmes et de lézardes de rire qui ne permettent plus la tranquillité du jugement déterminant mais provoquent comme jamais le jugement réfléchissant, tant ce sont souvent les figures de l’impossible qui s’esquissent en ce siècle qu’il faut bien endurer par la vie et la pensée.
Ces considérations invitent a priori à la nostalgie pour les siècles qui donnaient l’impression d’être de «vrais» siècles, ceux qu’on peut étiqueter d’un chiffre ou d’une formule pour les ranger à leur place sur la flèche du temps. Mais ce siècle désaccordé représente par là même le temps de tous les possibles et libère une formidable inventivité — ici conceptuelle — que précisément le parcours de Deleuze a si bien su pousser à certaines extrémités. Ce n’est pas seulement parce qu’il fallait « sortir du siècle », « en sortir », « le  faire sortir » de la table des catégories, « faire fuir » ce qui pouvait encore enfermer le siècle dans des schémas désormais inadéquats et pour cela s’en sortir avec les moyens du bord, comme si ce siècle était si étouffant que pour y respirer un peu d’air (l’appel du «Dehors») il faille s’acoquiner avec des auteurs «mineurs» ou relire les «classiques» sous une lumière si peu académique, lumière si perturbante en vérité. En rester à ce constat reviendrait à faire de Deleuze un philosophe «réactif», alors qu’il est principalement un  créateur insolite doublé d’un éblouissant pédagogue (1). Si il existe un «siècle deleuzien», c’est bien, comme le montre le livre qui nous occupe, d’abord par ce que le nom de Deleuze a su libérer, découvrir et inventer: soit une autre respiration pour la pensée qui, abandonnant la pusillanimité sclérosante aux gardiens du temple et à leur œuvre de mort, a pris le large en faisant voler en éclat la sempiternelle hiérarchie entre grands et petits auteurs pour «faire des enfants dans le dos des philosophes». Philosophie incestueuse et nomade, erratique et errante, déviante comme un clinamen un brin halluciné, rigoureusement érotique à sa manière, toujours en passe de vous déborder par la gauche ou la droite, à moins qu’elle ne vous attende (ou pas) déjà sur un versant encore inexploré de la limite, philosophie qui a elle-même contribué à faire naître ses enfants terribles auxquels J.-C. Martin consacre des pages empreintes de gratitude et de précision(2). Ces fils sont forcément de «mauvais fils», ils ne constituent pas à proprement parler une famille, avec son arbre généalogique, ses hauts faits, toute une suite bien ordonnée de figures tutélaires et pesantes auxquelles il faudrait faire allégeance; d'obscure extraction, ayant la beauté du diable, enfantés dans l’impureté des caves de la philosophie, ces enfants-là forment plutôt une constellation baptisée «Deleuze», un étoilement avec ses crevasses et ses fentes, son système d’échos, ses résonances entre l’aria et le cri.
Si le siècle, celui dans lequel nous nous enfonçons jour après jour de plus en plus (mais peut-être y en aura-t-il d’autres des «siècles deleuziens»?) est «deleuzien», n’est-ce pas aussi parce que les préoccupations du philosophe de Vincennes ont rencontré, non par caprice ou opportunisme mais bien par nécessité, certains traits qui font que nous vivons une époque proprement extra-ordinaire? Il n’est que de songer, entre autres, à l’intérêt porté aujourd’hui à la question animale pour commencer de mesurer l’acuité philosophique de l’auteur de Différence et répétition. J.-C. Martin consacre des pages marquantes à ces mondes animaux, à ces autres ou outre-mondes, à la façon dont ils sont questionnés par ce qui se fait de plus stimulant en philosophie(3).
«Le monde humain n’est pas le seul.»(4) Cet énoncé lapidaire au potentiel décapant signale de sérieuses limites à toute pensée humaniste qui se satisferait d’elle-même ou qui voudrait se présenter comme la seule métaphysique présente et future. Cet «effet-Deleuze», c’est-à-dire cette provocation à penser contre soi, contre la doxa, en remontant la pente spontanée de tout philosophe qui est celle d’un amour aveugle pour la seule humanité, se voit condensé dans le mot «expérience» abondamment interrogé par J.-C. Martin dans le sillage de Deleuze. Car penser non pas à l’intention des animaux mais avec eux (5), c’est assurément «engager une expérience limite de la pensée, pour forer un passage vers d’autres mondes, d’autres plateaux à arpenter»(6). Et ce non par goût pour quelque chose qui relèverait de l’exotisme conceptuel mais parce que le réel (les «choses mêmes»), «l’effraction du réel»(7), qui possède littéralement la vertu de nous distraire de ce qui paraît être l’important, le réclame. L’expression «expérience limite» est quasiment pléonastique s’agissant des percées ouvertes par Deleuze, dans la mesure où une expérience digne de ce nom revient toujours à se porter contre, tout contre, à aller jusqu’au bord d’une limite (peras) en passe de se métamorphoser en gouffre sans fond. La question animale est encore à cet égard assez mal formulée en ce qu’elle présuppose «l’âme» dans l’animal, ce qui ne lui permet pas d’aller jusqu’à la bête déjà au-delà de l’animalité et d’affronter alors le véritable péril pour la pensée qui est aussi sa plus grande chance. Voilà ce que ne peut et ne veut entrevoir le rapport humaniste à l’animal, trop pressé de rabattre son enquête sur des vues anthropomorphiques logocentrées. Dans cette perspective tellement réductrice, les propos de Deleuze font l’effet d’une «inquiétante étrangeté» que, dans le meilleur des cas, on tolérera et, dans le pire, qu’on taxera de délire caractérisé (8). Si «le monde humain n’est pas le seul», c’est aussi parce qu’en sus des bêtes, il nous faut désormais penser avec de tout autres moyens les «machines». Là aussi, les catégories usuelles, redevables au confort humaniste, trouvent vite leur limite, ce qui nous oblige à reprendre la pensée classique à nouveaux frais quitte à tout remettre en chantier «enfin libéré du poids des références» (9). Animaux et machines, deux continents à explorer pour un philosophe d’aujourd'hui qui accepterait d’entrer dans l'entrelacs qui les relie: animaux qui ne sont pas que machines et machines en liberté (10), cela devrait alimenter l’imagination conceptuelle, la pensée fictionnante.
A partir du moment où il est «impossible de faire entrer le temps dans l’ornière d’où il s’est échappé» (11), on comprendra que «le siècle deleuzien» n’est en rien un siècle placé sous l’autorité d’un penseur imposant un programme de recherche, adoubant les uns et anathématisant les autres, toujours à la remorque de quelque gratification honorifique bien propre à alimenter le «narcissisme des petites différences». «Le siècle deleuzien» est un arc temporel faisant de Deleuze la crypte conceptuelle qui, comme le grand vent ensorcelé de la pensée spinoziste, nous pousse à expérimenter, en toute immanence, sans garantie préalable aucune, des odyssées absolument empiriques, afin d’aller voir là-bas, ailleurs, dehors, du côté des bêtes, des machines et des vies «infâmes» ce qui pourrait ventiler autrement la pensée, l’ouvrir à une métaphysique du peu (12) afin de lui redonner le souffle qui parfois lui manque tant pour penser «la richesse bigarrée du réel» (13).
En privilégiant comme nous venons de le faire ces deux registres ontologiques à la fois si proches et si lointains de nous que sont les animaux et les artéfacts, nous n’avons fait que commencer à dérouler deux des nombreux fils de la pelote deleuzienne que Jean-Clet Martin explore dans un livre qui, pour nous dire l’allure d’un siècle, ne fait pas une somme. Il faudrait élargir le regard, écarquiller les yeux de la pensée, muter en quelque  façon afin d’approcher le regard des choses (14), vivre et sentir comme une pierre, développer une sympathie très spéciale, un sens plotinien des choses, devenir enfin «des usines à visions, intermédiaires entre la matière et l’âme du monde.»(15) Alors seulement, peut-être, serions-nous capables de sentir, de flairer à la manière de Deleuze, ce drôle de zèbre de la philosophie en langue française initiateur rigoureux et, en son genre, exact de ce qui relève de l’«ontologie délirante»(16). Pour finir cet aperçu d’un livre qui inaugure la bien nommée collection «Bifurcations» des éditions Kimé, on laissera le lecteur avec les propos d’un autre mauvais garçon de la philosophie françaises qui pourront servir de propédeutique à un mode de philosopher qui réclame du temps, beaucoup de temps, un temps élargi, interdit aux boutiquiers du concept, qui seul offre l’occasion de devenir deleuzien sans pour autant le vouloir forcément:
«Quant au motif qui m’a poussé, il était fort simple. Aux yeux de certains, j’espère qu’il pourrait par lui-même suffire. C’est la curiosité — la seule espèce de curiosité, en tout cas, qui vaille la peine d’être pratiquée avec un peu d’obstination: non pas celle qui cherche à s’assimiler ce qu’il convient de connaître, mais celle qui permet de se déprendre de soi-même. Que vaudrait l’acharnement du savoir s’il ne devait assurer que l’acquisition des connaissances, et non pas, d’une certaine façon et autant que faire se peut, l’égarement de celui qui connaît.»(17)

Olivier Koettlitz

1 Son talent pédagogique se constate notamment à la lecture de son petit livre sur Kant ainsi qu’à l’audition de ses cours; quand à sa plasticité conceptuelle, exigeante et donc difficile mais tellement roborative, elle est manifeste. Son geste ultime, sur lequel en vérité il n’y a rien à dire, devrait- nous semble-t-il, être perçu comme un dernier élan d’affirmation tragique.
2 Cf. Jean-Clet Martin, Le siècle deleuzien, Éditions Kimé, collection «Bifurcations», 2016, (désormais abrévié LSD) principalement le chapitre intitulé «THEATRUM PHILOSOPHICUM»
3 S’agissant des animaux, il faut lire les textes de Jean-Christophe Bailly, dépourvus de toute mièvrerie:  Le parti pris des animaux, Christian Bourgois éditeur, 2013 et Le versant animal, Bayard, 2007.
4 LSD, op. cit., p. 123. 
5 On reprend ici quasiment telle quelle la distinction faite par Deleuze dans son Abécédaire, à la Lettre «A comme animal», lorsqu’il indique que l’expression «parler pour» peut signifier «à l’intention de» ou «à la place de» (en l’occurrence des animaux).
6 LSD, op. cit., p. 13.
7 Ibid, p. 12.
8 Il faut pourtant rendre justice à Heidegger dont la pensée au sujet des animaux est tout de même trop souvent présentée de façon pour le moins réductrice. Pour une entente autrement plus fine et stimulante, on lira Heidegger, Les Concepts fondamentaux de la métaphysique, Monde-finitude-solitude, trad. D. Panis, Gallimard, 1992, §§ 45 à 63. On doit cet éclaircissement à André Hirt, cf. Col de la passantelittérature. Büchner, Stifter..., Kimé, 2015, p. 168, note 31.
9 LSD, op. cit., p. 36.
10 Cf. LSD, op. cit., le chapitre intitulé «Liberté des machines» p. 27 sq.
11 Ibid., p. 62.
12 Ce que nous appelons ici «métaphysique du peu» est nommé «métaphysique pauvre» ou «mineure» p. 47 du LSD.
13 Cf. LSD. op. cit., p. 122. 
14 Cf. Jean-Clet Martin, Van Gogh, L’oeil des choses, Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 1998. «Les choses possèdent une détermination, des lignes spirituelles et matérielles» écrit J.-C. Martin p. 87 de LSD, dans l’ouverture d’un chapitre consacré à d’étonnantes «Perspectives ontologico-phénoménologiques».
15 J.-C. Martin, 100 mots pour 100 philosophes. De Héraclite à Derrida, Les Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 2005, p.368. 
16 Cf. LSD. op. cit., p. 44. 
17 Michel Foucault, L’Usage des plaisirs, Gallimard, p. 14, cité par Gérard Lebrun in Notions de philosophie III, Folio/Essais, p. 654.

viernes, 13 de mayo de 2016

"Los trazos de la canción", Bruce Chatwin (1987)

copiado de cuadernodelectura.blogspot.com










El encuentro con Bruce Chatwin debe ser el caso más raro de conocimiento de un autor de los que he leído. Hace ya algunos años descubrí en una librería de Madrid unas libretas fantásticas, elegantemente encuadernadas en negro y cerradas con una goma. Ideales por tanto para llevar de viaje, pero tan resistentes y bonitas que terminé por usarlas hasta para tomar notas en el trabajo. Conseguirlas entonces tenía un cierto atrativo, porque sólo en muy contados lugares se podían adquir: determinadas papelerías, librerías y museos. Hoy, generalizadas ya hasta en los grandes almacenes han perdido parte de su glamour, pero siguen siendo las libretas más elegantes y duras que conozco. Lo habrán adivinado: son las Moleskine.

Pues bien, a cualquiera que alguna vez haya adquirido una Moleskine le sonará el nombre de Bruce Chatwin, porque en cada una de ellas se explica la pequeña historia de las libretas de notas que al parecer usaban Hemingway, Picasso y, sobre todo, Chatwin, para el cual (lo reconoce en este libro), estos cuadernos con sus notas eran tan importantes que fijaba una recompensa en la primera página para quien se los devolviese en caso de pérdida.

He aquí la razón por la que, tantos años después de mi primera Moleskine, me hice con Los trazos de la canción en cuanto lo vi. Era, al parecer, la obra más famosa de Chatwin, un hombre cuya vida es tan interesante como sus libros.

En él se narra un viaje por Australia en busca de los trazos de la canción, un concepto un tanto difícil de explicar -para algunos autores difícíl de creer- según el cual cada territorio, cada camino, cada accidente del terreno, están descritos en una canción aborigen. Y es esa canción, de cada tribu, de cada familia, la que identifica al terreno y permite poseerlo. Marca los límites, las zonas de paso. Perder la canción es perderlo todo.

Es una obra anárquica en su estructura: algo de tratado de Antropología, mucho de libro de viajes, con frecuentes salpicaduras de pensamientos filosóficos (propios o ajenos) sacados de las notas de sus cuadernos. A veces caótico y a veces brillante. Brillante sobre todo en su descripción de los personajes y amigos con los que se va cruzando en su viaje, a los que logra definir en pocas palabras pero con una precisión casi fotográfica.

En definitiva, es sobre todo un tratado de nomadismo, en que el propio viaje por Australia es una excusa para defender ante todo que el hombre es en esencia un ser nómada. :  Sobre todo, no pierdas tu deseo de caminar: Todos los días camino hasta encontrarme en un estado de bienestar y para evitar cualquier enfermedad; caminando he logrado mis mejores ideas, y no conozco pensamiento alguno, por gravoso que sea, del cual uno no pueda librarse caminando... si uno se sienta y se queda inmóvil, más posibilidades habrá de que se sienta enfermo... De manera que si uno sigue caminando, todo estará bien. 
Soren Kierkegaard, Carta a Jette (1847).