viernes, 18 de marzo de 2016

Molière, Les Femmes savantes, acte II, scène 7







Il n'est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes,
Qu'une femme étudie et sache tant de choses.
Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfants,
Faire aller son ménage, avoir l'œil sur ses gens,
Et régler la dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
Nos pères sur ce point étaient gens bien sensés,
Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez
Quand la capacité de son esprit se hausse
580 À connaître un pourpoint d'avec un haut de chausse.
Les leurs ne lisaient point, mais elles vivaient bien ;
Leurs ménages étaient tout leur docte entretien,
Et leurs livres un dé, du fil et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles.
Les femmes d'à présent sont bien loin de ces mœurs :
Elles veulent écrire, et devenir auteurs.
Nulle science n'est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu'en aucun lieu du monde :
Les secrets les plus hauts s'y laissent concevoir,
590 Et l'on sait tout chez moi, hors ce qu'il faut savoir.






jueves, 17 de marzo de 2016

Lettre de Karl Marx à sa femme Jenny

Le 21 juin 1856




Mon cœur chéri,
Je t’écris de nouveau, parce que je suis seul et parce que cela me gêne d’être toujours en train de dialoguer avec toi dans ma tête, sans que tu en saches ou en entendes quoi que ce soit, sans que tu puisses me répondre. Aussi mauvais soit-il, ton portrait me rend les meilleurs services, et je comprends maintenant comment les « vierges noires », les plus infâmes portraits de la mère de Dieu, pouvaient trouver des adorateurs indéfectibles, et même plus d’adorateurs que les portraits de qualité. En tout cas, aucune de ces représentations de madones noires n’a jamais reçu plus de baisers, d’œillades et de témoignages d’adoration que ta photographie, qui n’est certes pas noire, mais dure, et ne reflète absolument pas ton cher visage aimable et qui appelle les baisers, ton visage dolce. Mais je corrige les rayons du soleil qui ont fait une mauvaise peinture et je trouve que mes yeux, si abîmés soient-ils par l’éclairage artificiel et le tabac, savent encore peindre non seulement en rêve, mais même à l’état de veille. Je t’ai devant moi en chair et en os, et je te porte dans mes mains, je t’embrasse de la tête aux pieds, je m’agenouille devant toi et je soupire : « Madame, je vous aime. » Et je vous aime en effet, plus que le Maure de Venise n’a jamais aimé. Le monde, faux et corrompu, conçoit tous les caractères de façon fausse et corrompue. De mes nombreux calomniateurs et des ennemis à la langue de serpent, qui m’a jamais reproché d’être appelé à jouer sur un théâtre de seconde classe un rôle de jeune premier ? Et pourtant c’est la vérité. Si ces gredins avaient eu de l’esprit, ils auraient représenté d’un côté « les rapports de production et de circulation », de l’autre, moi à tes pieds. Look to this picture and to that – voilà ce qu’ils auraient écrit en dessous. Mais ce sont des gredins stupides, et ils le resteront, in seculum seculorum.
Une absence provisoire est une bonne chose, car elles sont présentes, les choses se ressemblent trop pour qu’on puisse les distinguer. Même des tours, vues de près, prennent une taille de nain, tandis que les petites affaires du quotidien, considérées de près, grandissent trop. Il n’en va pas autrement des passions. De petites habitudes, qui en raison de la proximité prennent une forme passionnée, disparaissent, dès que leur objet immédiat est dérobé aux regards. De grandes passions, qui en raison de la proximité de leur objet reprennent leurs dimensions naturelles par l’action magique du lointain. Ainsi il en va de mon amour. Tu n’as qu’à m’être dérobée ne serait-ce que par le rêve, et je sais aussitôt que le temps n’a servi à mon amour qu’à le faire croître, comme le soleil et la pluie font grandir des plantes. Mon amour pour toi, dès que tu es éloignée, apparaît pour ce qu’il est, comme un géant en qui se concentrent toute l’énergie de mon esprit et tout le caractère de mon cœur. Je me sens homme de nouveau, car je ressens une grande passion, et la multiplicité où nous embrouillent l’étude et la culture modernes, le scepticisme avec lequel nous dénigrons toutes les impressions subjectives et objectives, sont bien faits pour nous rendre tous petits, faibles, pleurnichards et indécis. Mais l’amour que nous portons non pas à l’homme de Feuerbach, au métabolisme de Moleschott, au prolétariat, mais à notre amour chéri, en l’occurrence à toi, c’est ce qui refait de l’homme un homme.
Tu vas sourire, mon doux cœur, et te demander comment il se fait que j’en vienne tout d’un coup à toute cette rhétorique. Mais si je pouvais serrer contre mon cœur ton doux cœur pur, je me tairais et ne dirais pas un mot. Comme je ne peux donner de baiser de mes lèvres, il faut que j’embrasse par le langage et que je fasse des mots.

martes, 15 de marzo de 2016

Lettre de James Joyce à Nora

18 novembre 1909




Je n’ose pas m’adresser ce soir en t’appelant d’un nom familier.
Toute la journée, depuis que j’ai lu ta lettre ce matin, j’ai eu l’impression d’être un chien bâtard qui a reçu un coup de lanière sur les yeux. Je n’ai pas dormi depuis deux jours entiers et j’ai déambulé dans les rues comme un immonde roquet que sa maîtresse a lacéré de son fouet et chassé de sa porte.
Tu écris comme une reine. Aussi longtemps que je vivrai je me souviendrai toujours de la dignité calme de cette lettre, de sa tristesse et de son mépris, et de l’humiliation infinie qu’elle m’a causée.
J’ai perdu ton estime. J’ai usé ton amour. Abandonne-moi donc. Emmène tes enfants loin de moi pour leur épargner la malédiction de ma présence. Laisse-moi retomber dans la fange d’où je suis venu. Oublie-moi et mes paroles vaines. Retourne à ta propre vie et laisse-moi aller seul à ma ruine. Il est néfaste pour toi de vivre avec un ignoble animal comme moi ou de permettre à tes enfants de subir le contact de mes mains.
Agis courageusement comme tu l’as toujours fait. Si tu décides de me quitter pleine de dégoût je le supporterai comme un homme, sachant que je le mérite mille fois, et je t’accorderai les deux tiers de mon revenu.
Je commence à comprendre maintenant. J’ai tué ton amour. Je t’ai rempli de dégoût et de mépris pour moi. Abandonne-moi maintenant aux choses et aux compagnons que je cherchais tant. Je ne me plaindrai pas. Je n’ai plus aucun droit de me plaindre ou de lever les yeux vers toi. Je me suis totalement avili à tes yeux.
Quitte-moi. C’est pour toi une déchéance et une honte de vivre avec une vile créature comme moi. Agis courageusement et quitte-moi. Tu m’as donné les plus belles choses de ce monde mais tu ne faisais que jeter des perles à des cochons.
Si tu me quittes je vivrai toujours avec ton souvenir, plus sacré pour moi que Dieu. J’adresserai mes prières à ton nom.
Nora, garde quelque bon souvenir du pauvre misérable qui t’a déshonoré de son amour. Pense que tes lèvres l’ont embrassé et que tes cheveux l’ont enveloppé et que tes bras l’ont tenu contre toi.
Je ne signerai pas mon nom parce que c’est le nom par lequel tu m’appelais lorsque tu m’aimais et m’honorais et me donnais ta tendre jeune âme pour que je la blesse et la trahisse.

lunes, 14 de marzo de 2016

Lettre d’Albert Einstein à sa future femme, Mileva Maric

[30 août ou 6 septembre 1900]



Ma toute petite,
Ta chère lettre, la première, est arrivée hier de chez toi. J’ai déjà commencé par en lire les lignes dans le calme de ma chambre, et ce, trois fois de suite. Puis, tout heureux, je l’ai relue longtemps entre les lignes, enfin je l’ai glissée dans ma poche avec un sourire béat. « Bonne Maman » est très agréable et n’aborde pas le « sujet délicat », d’autant plus que ma bonne humeur, ma popularité parmi les estivants et mes « succès musicaux » mettent un peu de baume sur son cœur de belle-mère, si bien que la situation est maintenant presque supportable.
[…]
J’ai aussi reçu une lettre que Papa m’a écrite pour me faire la morale, en attendant mieux, car il m’a promis qu’il me dirait l’essentiel plus tard, de vive voix. Conscient de mes devoirs, je m’en réjouis à l’avance. Je comprends très bien mes parents. Ils considèrent que la femme est pour l’homme un luxe que celui-ci ne peut s’offrir qu’une fois son existence bien assurée. Pour ma part, j’apprécie très peu cette façon de concevoir les relations entre hommes et femmes. Elle signifie en effet que l’unique différence entre une épouse et une putain, c’est que la première, grâce à des conditions de vie plus favorables, est d’extorquer à l’homme un contrat pour la vie. Une telle façon de voir les choses s’explique tout simplement par le fait que, pour mes parents, comme pour la plupart des gens, les sens exercent un contrôle immédiat sur les émotions, alors que, pour nous, le plaisir de vivre s’accroît à l’infini grâce aux circonstances dans lesquelles nous vivons. Mais nous ne devons pas oublier combien d’existences comme celles de mes parents rendent la nôtre possible. Dans l’évolution sociale de l’humanité, elles sont en effet de loin la composante la plus importante. La faim et l’amour continuent à être des mobiles si puissants dans la vie qu’ils permettent d’expliquer presque tout, sans savoir besoin de tenir compte d’autres motivations. C’est pourquoi j’essaie de ménager mes parents, sans céder pour autant sur ce qui me semble important, à savoir toi, mon cher amour !
[…]
Quand tu n’es pas avec moi, j’ai l’impression de ne pas être entier. Quand je suis assis, j’ai envie de marcher. Quand je marche, j’ai envie de rentrer à la maison. Quand je me distrais, j’ai envie de travailler. Quand je travaille, la réflexion et le calme me font défaut, et quand je vais me coucher, je ne suis pas satisfait de la journée que je viens de passer.
Amuse-toi bien, mon petit cœur, je t’embrasse de toutes mes forces, ton
Albert.

domingo, 13 de marzo de 2016

Lettre de Virginia Woolf à Leonard Woolf

  1er mai 1912




Mon très cher Leonard,
Commençons par les faits (j’ai tellement froid aux doigts que j’ai du mal à écrire). Je rentre demain vers 7h du soir ; nous aurons donc tout le temps de discuter — mais que veut dire tout cela ? Je suppose que tu ne peux pas prendre de congé si tu as l’intention de donner ta démission. C’est bien là la preuve que tu es en train de gâcher toute ta carrière.
Venons-en maintenant au reste. Il me semble que je te cause beaucoup de tourments — de manière tout à fait fortuite pour certains — et que je dois donc être aussi franche que possible, ne serait-ce que parce que tu passes une partie de ton temps dans le brouillard alors que tout me paraît assez clair. Il m’est difficile d’expliquer ce que je ressens, mais voilà quelques-uns des éléments qui me frappent. Les avantages les plus flagrants du mariage sont en fait pour moi autant de handicaps. Je me dis : de toute façon, tu seras très heureuse avec lui ; ce sera pour toi un compagnon, il te donnera des enfants, une vie bien remplie… et puis, tout à coup, je me dis, Seigneur, tu ne vas quand même pas considérer le mariage comme une profession. Les rares personnes qui soient au courant pensent pourtant que c’est exactement ce qu’il me faut ; du même coup, j’en viens à examiner mes motivations d’encore plus près. Et puis, bien sûr, à certains moments, c’est la force même de ton désir qui me rend folle. Il n’est pas impossible non plus, à ce stade, que le fait que tu sois juif ait son rôle à jouer. Il y a en toi quelque chose de tellement étranger. Et puis, je suis terriblement instable. Je passe du chaud au froid d’une minute à l’autre, sans aucune raison, si ce n’est que le simple effort physique et l’épuisement ont sur moi une énorme influence. Tout ce que je peux dire, c’est qu’en dépit de ces sentiments qui se croisent et s’entrecroisent toute la journée quand je suis avec toi, il y a quelque chose de permanent, qui grandit au fil du temps. Je comprends que tu veuilles savoir si ce sera suffisant pour que je finisse par t’épouser. Comment le saurais-je moi-même ? Je crois que oui, parce qu’il n’y a pas de raison pour que ce ne soit pas le cas, mais je ne sais ce que l’avenir nous réserve. Je ne suis qu’à moitié rassurée sur mon compte. J’ai parfois l’impression qu’on n’a jamais rien à partager avec quiconque, qu’on ne peut rien partager. C’est cela qui fait que tu me compares à une colline ou à un roc. Et pourtant, d’un autre côté, je voudrais tout — amour, enfants, aventure, intimité, travail (toutes ces divagations ont-elles un sens pour toi ? j’écris les choses comme elles me viennent). Si bien que je passe d’un extrême à l’autre : tantôt je suis presque amoureuse de toi, et j’ai envie que tu sois toujours avec moi, que tu saches tout de moi, tantôt je deviens sauvage et distante au possible. Il me semble parfois que, si je t’épousais, je pourrais tout avoir — et puis — est-ce le côté sexuel de notre union qui s’interpose entre nous ? Comme je te l’ai dit sans ménagements il y a peu, je ne ressens aucune attirance physique pour toi. Il y a des moments — comme l’autre jour quand tu m’as embrassée — où j’ai l’impression d’être dure comme la pierre. Et pourtant, ton attachement pour moi me submerge. Il est si réel, si étrange. Pourquoi faut-il que tu me sois ainsi attaché ? Je suis agréable, attirante, mais quoi d’autre vraiment ? Et pourtant, c’est justement parce que tu tiens tellement à moi qu’il faut que moi aussi j’arrive à en faire autant avant de prétendre t’épouser. Je sens que je dois pouvoir tout te donner, sinon le mariage, pour toi comme pour moi, ne serait qu’un pis-aller. Si tu peux continuer comme avant, en me laissant trouver ma voie toute seule, c’est ce qui me ferait le plus plaisir ; mais alors, il faudra que nous prenions le risque tous les deux. Mais tu m’as également rendue très heureuse. Nous souhaitons l’un comme l’autre un mariage qui soit formidablement vivant, toujours vivant, toujours brûlant, qui ne soit pas quelque chose d’éteint, ni de facile comme le sont certains mariages. Nous attendons beaucoup de la vie, tu ne crois pas ? Peut-être l’obtiendrons-nous, et alors quelle victoire ! On n’arrive pas à dire grand-chose dans une lettre, n’est-ce pas ? Je n’ai même pas abordé tout ce qui nous est arrivé ici — mais ça peut attendre.
Tu aimes cette photo ? Un peu trop guindée à mon goût. En voilà une autre.
Ta VS