viernes, 8 de julio de 2016

Lettre de Violette Leduc à Simone de Beauvoir

25 novembre 1949





Je vous l’ai dit toute la matinée dans ma chambre et je vous le redis : « Chère Simone de Beauvoir, faites que j’aie un peu de bonheur avant d’être tout à fait vieille. »
Je sais bien qu’il y a les belles jeunes filles paralysées dans les hôpitaux, qui n’ont pas vécu, qui ne vivront pas. Mais je ne peux rien pour elles. Chacun doit mourir ou guérir seul de ses malheurs. Je ne meurs pas, je ne guéris pas. Je ne pense qu’à moi, je ne m’oublie pas.
Je vous aime mais en lisant le tome II du Deuxième Sexe, j’ai compris qu’un amour qui n’est pas physique n’est pas un amour réel et quand je vous désire c’est un égarement pire que celui de vous aimer platoniquement. C’est difficile, c’est dur de ne pas être aimée pendant quatorze ans et de ne pas pouvoir aimer librement. De quoi suis-je punie ? De trop penser à moi sans doute. Je suis bien punie. Dans cette lettre il ne sera question que de moi mais vous savez bien que de toute façon je ne peux pas vous parler de vous, vous questionner. Il y a un an j’étais désespérée à cause du manque d’argent. Vous m’en avez procuré, je vous vois tous les quinze jours et cela ne me suffit pas. Quand je suis avec vous et que vous me dites que je suis un écrivain, je le crois mais dès que je vous quitte, je ne le crois plus, je n’ai pas confiance en ce que j’écris. Je ne vois pas d’avenir. Quand je fais des commissions, le coût de la vie me déprime, je pense que je n’ai pas de métier et c’est dans les boutiques, à côté des vieilles femmes que j’ai le plus peur de ma vieillesse solitaire.
Vous voyez, je ne parle que de moi. Je le sais que c’est honteux : je n’ai pas d’enfant à élever, pas de charges. Il me semble que si je gagnais beaucoup d’argent, cela compenserait mes grandes privations d’affection. Je ne suis pas à la hauteur de la vie que je suis forcée de mener dans ma chambre. Je voudrais vivre comme les autres. Mais j’oublie toujours que c’est trop tard, que je suis une vieille femme disgracieuse. Si, je suis plus seule que Jean Genet qui, en dehors de la gloire, de son culot, a des êtres, sots peut-être, mais des êtres qu’il prend dans ses bras, à qui il dit bonjour le matin quand il s’éveille.
Je pense à Nathalie Sarraute, à Colette Audry. J’y pense sans jalousie. Elles ont tant de choses, tant de choses. Colette Audry a un métier, des élèves, des collègues, de l’intelligence, des parents, un amant peut-être, un enfant. Je radote, car tout cela je vous l’ai déjà écrit. Il vaut mieux les bagarres, les cris, les coups plutôt que ce silence de mort dans ma chambre. A mardi mais je sais que je vous lasserai et que je vous perdrai. Laissez-moi embrasser vos mains, laissez-moi me délivrez de ma tendresse.




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