martes, 5 de julio de 2016

Lettre de Jean Cocteau à sa mère



16 août 1907
Ma maman chérie
Ta lettre me rend joyeux, elle est gaie, j’étais triste je ne sais pas au juste pourquoi… et c’en est peut-être la raison.
Le citoyen Boulant avait perdu mon adresse, il recevait affolé sans pouvoir y répondre mes sévères réprimandes. Il prépare à Paris son oral.
Madame Dietz est encore immobilisée mais le rire ne quitte pas la maison, nous plaisantons comme des gosses et cela me réconforte. Quant à « tante Girard »… elle se couvre de bijoux et de voiles ! empeste les chemins d’un patchouli lascif !! tire les cartes !!!! et arrive à nous révolter par la façon dont elle se tient ou plutôt dont elle ne se tient pas !!!!!!!!!!!!!!!
Mon caractère évolue, il me semble constater des résultats, et je repousse la fierté qui s’en dégage parce que c’est encore un terrible défaut.
Puisque tu me touches un mot au sujet de mon avenir… sache que je suis à ce sujet mille fois moins léger qu’on ne pourrait le croire. Récemment encore j’hésitais sur la voie à suivre mais l’avis péremptoire d’un talent et d’un génie m’a poussé définitivement vers l’idéal que je me forge.
Ne crains rien il y a sous mon apparente frivolité quelque chose de grand et de profond, que j’ai eu la volonté de masquer parce que… comme le dit Bataille, « Dans le monde il faut faire l’idiot pour ne pas avoir l’air d’un imbécile ». J’entends les flatteurs ; je ne les écoute pas… et je possède juste assez de raison pour savoir mieux que personne la valeur de ce que je fais.
Tu es ma meilleure amie… mon meilleur ami et il faut remercier le hasard d’avoir ainsi voulu les choses, car je sais bien des mères trop dures pour leurs fils… et qui pour cela n’ont plus leur confiance.
Si je me révolte quelquefois contre le devoir, c’est la jeunesse qui pointe ! Car la vie procure bien assez de douleurs par elle-même… pour ne pas y chercher ce qu’elle a de consolant.
À réfléchir je deviens meilleur… Il y a peu de temps… j’étais encore torturé de la platitude dogmatique dont la terre est pourrie… maintenant j’en souris… et la phrase charmante me revient… que m’écrivit madame Raoul-Duval : « La compréhension est chose si rare qu’on ne saurait la vouloir chez tous… car c’est presque de l’amour. »
Vois-tu, maman, le bonheur consiste en ceci : « Prendre à la minute tout le suc qu’elle contient », c’est pourquoi j’ai malgré de profondes tristesses des compensations merveilleuses.
« Zut pour les autres », j’entends par « autres » le clan indifférent ou hostile, et vivent les êtres aimés et la vie intérieure !
Après cela un baiser avec tout mon cœur.
Ton vieux
Jean

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