domingo, 29 de mayo de 2016

Lettre de Gustave Flaubert à propos de Madame Bovary

[Fin novembre 1866]




[…] Les personnages imaginaires m’affolent, me poursuivent, — ou plutôt c’est moi qui suis dans leur peau. Quand j’écrivais l’empoissonnement de Mme Bovary j’avais si bien le goût d’arsenic dans la bouche, j’étais si bien empoisonné moi-même que je me suis donné deux indigestions coup sur coup, — deux indigestions réelles car j’ai vomi tout mon dîner.
L’intuition artistique ressemble en effets aux hallucinations hypnagogiques — par son caractère de fugacité, — ça vous passe devant les yeux, — c’est alors qu’il faut se jeter dessus, avidement.
Mais souvent aussi l’image artistique se fait lentement, — pièce à pièce, — comme les diverses parties d’un décor que l’on pose.
Du reste n’assimilez pas la vision intérieure de l’artiste à celle de l’homme vraiment halluciné. Je connais parfaitement les deux états ; il y a un abîme entre eux. Dans l’hallucination proprement dire, il y a toujours terreur, on sent que votre personnalité vous échappe, on croit qu’on va mourir. Dans la vision poétique, au contraire, il y a joie. C’est quelque chose qui entre en vous. Il n’en est pas moins vrai qu’on ne sait plus où l’on est ?
Voilà tout ce que je trouve à vous dire à la hâte. Si vous ne jugez pas mes réponses satisfaites, dites-le-moi. Je tâcherai de mieux m’expliquer.
Adieu. Je vous serre les mains très fort.




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