martes, 22 de marzo de 2016

Lettre de Goethe à Christian Daniel Rauch






21octobre 1827
Monsieur et cher ami,
Au moment où une douleur amère vous frappe, en tournant votre pensée vers moi, en trouvant quelque soulagement à vous entretenir avec moi, vous me prouvez d’une manière touchante la profondeur de votre amitié, la tendresse confiante de vos sentiments, et c’est bien ce que j’ai de tout temps éprouvé pour vous. Vous me montrez par là que vous êtes sûr de ma fidèle sympathie, de la part vraie que je prends au coup funeste qui, vous blessant, dans ce que vous avez de plus cher, vient vous atteindre en pleine activité intellectuelle et entraver l’heureux et noble épanouissement du plus beau talent. Moi aussi, qui partage douloureusement votre peine, il me semble trouver quelque adoucissement à vous répondre, tout de suite et à vous envoyer ces lignes.
Comme vous, j’ai connu dans ma longue existence des événements qui m’ont fait souffrir, au sein du bonheur le plus éclatant, une série de chagrins pour ceux que j’aimais ; il y a des moments si cruels, qu’on serait vraiment tenté de voir dans la brièveté de la vie le plus grand des bienfaits et le seul moyen de ne pas avoir à endurer trop longtemps un tourment insupportable.
J’ai vu partir avant moi beaucoup d’êtres qui avaient souffert ; quant à moi, le devoir m’a été réservé de continuer à vivre et de porter une succession de joies et de douleurs telles que la moindre d’entre elles eût bien pu être mortelle.
Dans de tels cas, ma seule ressource a toujours été de faire appel, de toute mon énergie, à mon reste d’activité et de continuer avec vigueur une lutte de vie ou de mort ; tel un combattant engagé dans une funeste guerre, et qui se bat, qu’il ait le dessus ou le dessous.
Et c’est ainsi que j’ai traversé la vie, à la force du poignet, jusqu’à ce jour où la fortune suprême, qui pourrait me donner le vertige, est toujours mêlée de tant d’amertume, qu’elle m’invite et me contraint à toute heure à faire un nouvel appel à mes forces. Si je n’ai su trouver pour moi-même d’autre moyen de demeurer maître de ma vie et de lutter contre ce que nous pouvons à bon droit appeler la perfidie du destin, je crois que ce même recours sera salutaire à tel autre, destiné par la nature à une noble carrière d’artiste, s’il essaie de combattre avec une force renaissante le sentiment de révolte qui lui inspire une entrave imprévue, et s’il tâche de se ressaisir dans la mesure de ses moyens.
Ce qui précède, cette leçon puisée à ma propre existence, vous montrera que le triste événements qui vous frappe a réveillé dans mon âme le souvenir de tous mes maux passés, et que mon esprit a évoqué du même coup tout ce qui m’a été secourable. Puisse cette sincère sympathie avoir le privilège d’adoucir du moins un instant votre douleur, qu’elle ne saurait guérir. Nous répondons tous de tout cœur à vos affectueux messages.




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