martes, 26 de enero de 2016

Lettre de Gérard de Nerval à Aurélia




1853-1854



Ah ! ma pauvre amie, je ne sais quels rêves vous avez faits ; mais moi, je sors d’une nuit terrible. Je suis malheureux par ma faute, peut-être, et non par la vôtre ; mais je le suis. Oh ! peut-être vous avez eu déjà quelques bonnes intentions pour moi ; mais je les ai laissées perdre et je me suis exposé à votre colère. Grand Dieu ! excusez mon désordre, pardonnez-moi les combats de mon âme. Oui, c’est vrai, j’ai voulu vous le cacher en vain, je vous désire autant que je vous aime ; mais je mourrais plutôt que d’exciter encore une fois votre mécontentement.
Oh ! pardonnez ! je ne suis pas volage, moi ; depuis trois ans, je vous suis fidèle, je le jure devant Dieu ! Si vous tenez un peu à moi, voulez-vous m’abandonner encore à ces vaines ardeurs qui me tuent ? Je vous avoue tout cela pour que vous y songiez plus tard ; car je vous l’ai dit, quelque espoir que vous ayez bien voulu me donner, ce n’est pas à un jour fixe que je voudrais vous obtenir : mais arrangez les choses pour le mieux. Ah ! je le sais, les femmes aiment qu’on les force un peu ; elles ne veulent pas paraître céder sans contrainte. Mais songez-y, vous n’êtes pas pour moi comme les autres femmes ; je suis plus peut-être pour vous que les autres hommes ; sortons donc des usages de la galanterie ordinaire. Que m’importe que vous ayez été à d’autres, que vous soyez à d’autres peut-être !
Vous êtes la première femme que j’aime et je suis peut-être le premier homme qui vous aime à ce point. Si ce n’est pas là une sorte d’hymen que le ciel bénisse, le mot amour n’est qu’un vain mot ! Que ce soit donc un hymen véritable où l’épouse s’abandonne en disant : « C’est l’heure ! »… Il y a de certaines formes de forcer une femme qui me répugnent. Vous le savez, mes idées sont singulières ; ma passion s’entoure de beaucoup de poésie et d’originalité ; j’arrange volontiers ma vie comme un roman, les moindres désaccords me choquent et les modernes manières que prennent les hommes avec les femmes qu’ils ont possédées ne seront jamais les miennes. Laissez-vous aimer ainsi ; cela aura peut-être quelques douceurs charmantes que vous ignorez. Ah ! ne redoutez rien, d’ailleurs, de la vivacité de mes transports ! Vos craintes seront toujours les miennes et de même que je sacrifierais toute ma jeunesse et ma force au bonheur de vous posséder, de même aussi mon désir s’arrêterait devant votre réserve, comme il s’est arrêté si longtemps devant votre rigueur.
Ah ! ma chère et véritable amie, j’ai peut-être tort de vous écrire ces choses, qui ne se disent d’ordinaire qu’aux heures d’enivrement. Mais je vous sais si bonne et si sensible que vous ne vous offenserez pas d’aveux qui ne tendent qu’à vous faire lire plus complètement dans mon cœur. Je vous ai fait bien des concessions ; faites-m’en quelques-unes aussi. La seule chose qui m’effraie serait de n’obtenir de vous qu’une complaisance froide, qui ne partirait pas de l’attachement, mais peut-être de la pitié. Vous avez reproché à mon amour d’être matériel ; il ne l’est pas, du moins dans ce sens ! Que je ne vous possède jamais si je dois n’avoir dans mes bras qu’une femme résignée plutôt que vaincue. Je renonce à la jalousie ; je sacrifie mon amour-propre ; mais je ne puis faire abstraction des droits secrets de mon cœur sur un autre. Vous m’aimez, oui, beaucoup moins que je ne vous aime sans doute ; mais vous m’aimez, et, sans cela, je n’aurais pas pénétré aussi avant dans votre intimité. Eh bien ! vous comprendrez tout ce que je cherche à vous exprimer : autant cela serait choquant pour une tête froide, autant cela doit toucher un cœur indulgent et tendre.
Un mouvement de vous m’a fait plaisir, c’est que vous avez paru craindre un instant, depuis quelques jours, que ma constance ne se fût démentie. Ah ! rassurez-vous ! j’ai peu de mérite à la conserver : il n’existe pour moi qu’une seule femme au monde !

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